Carnet de Yannis 22 février 1966
Personne n’a l’habitude, d’être dans la Lune aussi longtemps. En général ça se compte en minutes, quelques fois en dizaines de minutes, en quelques heures dans le cas de siestes éveillées, mais l’existence sociale, les autres, les courbatures ont vite fait de ramener le rêveur sur Terre et, au moins, de l’obliger à changer de posture.
C’est un fait que certains y repiquent assez vite, mais quand on dit à quelqu’un « Tu es toujours dans la Lune ! », c’est une façon de parler. Tandis que là !!! Impossible d’aller se ressourcer, trouver une autre raison, une autre façon d’être dans la Lune… Confinés dans la même rêverie jusqu’à … “Nouvel ordre, plus ample information et preuve du contraire”, comme disait le jingle qu’avait enregistré Willy avec sa voix de vendeur de brosses à dent à la radio : « Salut bonjour les embrumés, c’est l’archange Willy qui vous parle, et laissez-moi vous dire que je vous aime ! Votre attention s’il vous plaît ! Rien n’a changé dans le ciel lunaire, et c’est pas d’main la veille du réveil ! Alors profitons au mieux de notre petite réunion et sourions autant que nous pourrons, jusqu’à nouvel ordre, plus ample information et preuve du contraire ! Nos bols parfumés sont prêts, les prix n’ont pas encore augmenté. ! »
Après que Willy eut valsé son retour vers un monde d’après, qui n’était pas nécessairement meilleur, vu la tête qu’il faisait en partant, Céline passait de temps en temps le message, par nostalgie. Et elle ajoutait : « Prenez soin de vous et n’oubliez pas, même dans la Lune, il faut se tenir ! »
Et en effet, l’orage de météorites continuant à tambouriner au plafond de nos têtes, il a fallu s’organiser. Pour l’hygiène surtout. Pour la nourriture, certains avaient des réserves et puis comme dit le proverbe « Qui dort dîne ! » ou, comme disait Georges, un voisin assez mutique habituellement, « Ce n’est pas un vrai sommeil mais qui rêvasse grignote ! »
Pour l’hygiène, Céline a mis en place un système de mutualisation des sources : piscines, baignoires, douches, lacs, bords de mer… Beaucoup de gens se rêvent dans l’eau, en train de flotter, de couler dans le pire des cas ; un minimum de solidarité devait permettre, selon elle, de régler le problème. Par exemple, elle a repéré derrière le sourire béat des plus vernis, des piscines et elle a légiféré. Celle ou celui qui dans la Lune est assis au bord de sa piscine, les pieds dans l’eau par exemple ou sous la douche, dans son bain, Céline lui demande d’échanger son rêve pendant quelques minutes avec celui dont le système sanitaire onirique est absent ou en panne… Et c’est, en fait d’abord une question d’imagination. Je veux dire, avant la question sociale !
Bien entendu, un(e) propriétaire de piscine, derrière ses lunettes de soleil, rêvassant les pieds dans l’eau, peut imaginer sa propriété, l’étendue bleue miroitante etc… mais un(e) vagabond(e) pas lavé(e) de trois jours peut rêver à une piscine encore plus belle. Si la personne « aisée » a des problèmes de visualisation, ou est un peu déprimée, ses rêveries seront désertiques, pas une goutte de piscine à l’horizon, alors que le pauvre a tellement souvent rêvé de piscine, qu’elle est parfaite, la sienne et souvent très spacieuse, voir accueillante.
Il suffit qu’il accepte de la prêter. Ce n’est pas toujours gagné d’avance mais Céline a la manière et elle fait signer un papier où chacun(e) s’engage à « laisser le rêve dans l’état où il l’a trouvé…voir mieux. ». La procédure est la même pour la douche, le jet d’eau dans le jardin etc… il ne suffit pas d’en posséder pour en rêver facilement !!!
Les Toilettes également – on n’imagine pas le nombre de gens qui rêvent d’être assis sur le trône, pour qui « être dans la Lune » est un lieu d’aisance anticipé : souvent des gens très pressés, des actifs, qui tout en hochant la tête au cours d’une réunion importante… un chef d’orchestre qui, pour ne pas accélérer le tempo et arriver plus vite à la pause, fermait les yeux et retrouvait les latrines de son enfance… des enfants pour qui ça pressait vraiment mais qui, cahier de classe ou bouquet de fleurs à la main, la balle au pied, face au sourire ou à la blague d’un copain ou d’une copine, ne pouvaient pas s’absenter du groupe etc…
Dans une boite de nuit une fille qui avait enfin pu danser avec le gars qu’elle !!!… ou un gars avec la fille qu’il !!!… ou … enfin, une personne, dans un couple dansant sur « Retiens la nuit », qui n’avait qu’une envie…
Bref, pour l’hygiène c’est comme ça que ça s’est organisé : Céline a dressé la liste des points d’eau dans chaque rêverie, elle a établi une carte et chacune et chacun peut compter, en cas d’urgence, sur le rêve de l’autre.
Georges disait « Les météorites ont du bon. »