On y danse on y danse

3 septembre 1966 Carnet de Grégoire

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Sur la petite estrade au fond de l’auberge, il y a toujours une musicienne ou un musicien qui joue, parfois plus, mais rarement au delà d’un trio. Notre quatuor Séléné est une exception.

Il est arrivé, bien sûr, qu’un orchestre entier débarque. Il s’en suivi une joyeuse et brève cacophonie mais on eut à peine le temps de faire quelques pas de danse qu’il était reparti, l’orchestre, aussi vite qu’il était venu, rappelé à l’ordre par la fin d’une pause syndicale ou d’une mise au point importante du chef d’orchestre.

Ici, la musique s’invente au gré des rencontres. Aujourd’hui, une joueuse de sitar chante et improvise un Manôdharma sangîta accompagnée à la trompette par Jojo Bochaton de l’harmonie de Thollon les Mémises et la flûte à bec de Brigitte, 7 ans et demi.

Sur le parquet de danse, des couples s’élancent, s’enlacent et s’effacent.

Ils se sont rencontrés non pas sur un coup de foudre mais sur un clin d’œil. Parfois l’un a volé l’image de l’autre au coin d’une rue, dans un bus qui passe, parfois c’est un regard croisé qui est à l’origine de la rencontre et l’on voit deux paires d’yeux biens nets qui dansent au cœur de corps écrins. Les parties imaginées ne sont pas toujours les plus translucides. Un jeune homme et une jeune femme qui enfin ont osés, se tiennent par la main.

Un vieux monsieur danse avec une paire d’épaules nues et frêles. Il les tient délicatement du bout des doigts comme une forme précieuse, un tissu de souvenirs émus et frémissants. Une vieille dame, peut-être l’épouse du vieux monsieur, valse à quelques centimètres du sol, portée par des bras puissants, la tête posée sur un buste musclé.

Deux femmes dansent, enjouées, une java hindo-savoyarde et un grand gars préfère, seul, faire onduler ses mains et ses bras dans une chorégraphie végétale.

Le jeune homme et la jeune femme ont éclaté d’un même rire qui les a ramenés à la réalité. Là bas, les pieds sur terre, ils se sont embrassés. Céline Deux-Rivages le sait. Elle a son visiophone introsphérique – Elle ne laisse pas un client partir sans se soucier de son atterrissage et elle se réjouit quand un rêve éphémère porte ses fruits sur Terre.

De son comptoir, Céline deux rivages veille ! Ici c’est pas l’enfer ni le paradis ! Anges et diables sont invités à poser leurs bonnes ou mauvaises intentions au vestiaire en même temps qu’ailes et fourches. Céline est gardienne de l’innocence, juge et parti de ce lieu de passage fou et sage.